Cliché : Archives départementales Haute Savoie
Acte de donation, par les comtes de Genève, de la vallée de Chamonix aux moines bénédictins de l’abbaye de Saint Michel de la Cluse en 1091
Au nom de la sainte et indivisible trinité ,moi Aimon, Comte de Genève, et mon fils Gérold donnons et concédons au Seigneur Dieu notre Sauveur, et à Saint Michel Archange de la Cluse, tout Chamonix avec ses dépendances, depuis la rivière appelée Desa et la roche appelée blanche, jusqu’aux Balmes , en tant qu’il semble relever entièrement de mon Comté, à savoir les terres, forêts, alpages, chasses, tous les plaids et bans afin que les moines qui servent Dieu et l’Archange possèdent tout cela et les tiennent sans contradiction de personnes, ne retenant rien pour nous, si ce n’est les aumônes et les prières pour nos âmes et celles de nos parents, afin que Saint Michel l’ Archange nous conduise avec eux dans le paradis de la joie. Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, voulait enfreindre cette donation, qu’il soit en anathème et malédiction, comme Dathanet Abiron, jusqu’à résipiscence et satisfaction.
De cette donation sont légitimes témoins les frères utérins du Comte, Willelme de Faucigny et Amédée, ainsi que Thurunbert de Nangy, Albert Chevalier de Gomoens(Goumouens, canton de Vaud Suisse), le prêtre Engeldrand et Silvo.
Moi, André , chapelain du Comte, ai écrit cette charte sur l’ordre du Comte lui-même et l’ai remise, le samedi, vingt septième de la lune, sous le règne du pape Urbain.
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Résumé article de Mr Paul Guichonnet.
Journal Le Messager septembre 1991.
Comment ce magnifique parchemin en bon état daté de 1091 est-il arrivé jusqu’à’ à nous ?
Lorsqu’en 1519 les chanoines du chapitre de la collégiale de Sallanches succèdent aux religieux de l’abbaye de saint Michel, ils descendent dans leur résidence principale à Sallanches le gros des archives de leur succursale .C’est là, dans un grenier, que le notaire Bonnefoy les découvrira en 1831 et les transférera chez lui pour les étudier. Plus de 449 liasses de l’ancienne collégiale. Celles- ci avaient échappées à la destruction des armées révolutionnaires.
Le texte de la charte n’était cependant pas inconnu puisqu’en 1660 Samuel Guichenon, érudit, le publia dans son « histoire généalogique de la royale maison de Savoie ». Mais nous devons la redécouverte de la charte à Markham Sherwill qui, en 1832, curieux de l’histoire chamoniarde, rencontre Mr Bonnefoy ce qui lui permet de remettre aux yeux du monde une part de l’histoire chamoniarde : … « à la première vue des vénérables papiers je compris la joie enthousiaste qu’éprouve un antiquaire en découvrant quelques nouveaux trésors… et la poussière qui les recouvrait paraissait aussi vieille que le Prieuré lui-même ». Il publie ainsi en 1831 à Londres la première histoire de la vallée de Chamonix.
En 1879 et 1883 Mr Bonnefoy publie les pièces les plus importantes dont la charte datée de 1091. Photographiée, elle sera alors éditée à plusieurs reprises. Vient alors en 1907 la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les documents sont rapatriés aux archives départementales.
Immédiatement, les historiens se penchent sur ce document précieux .On le soumet à l’Ecole des Chartes où l’historien Maurice Prou écrivait à son collègue annécien «je ne crois pas que l’écriture puisse être de la fin du XIe … On la daterait plutôt du milieu du XIIe, ne serait-ce pas une charte du XIe recopiée ou interpolée ou en tout cas refaite au XIIe ? Remarque intéressante qui ne sera reprise qu’en 1979 par Jean Yves Mariotte qui, directeur des archives départementales, effectua un examen serré et en proposa une traduction précise (texte ci-dessous).
Ce document « vrai-faux », selon Mr Mariotte, a tourmenté nombre de spécialistes car si on s’en réfère aux documents de l’époque, ce parchemin manque de précisions : pas de lieu, pas de date précise. Certes les témoins et les signataires sont bien attestés, mais le texte est bref et on est frappé par l’imprécision dans l’identification. A l‘époque, les dotations énuméraient généralement dans le détail les donations. Surtout on ne mentionne ni les hommes qui, en général, sont toujours cités, et l’on reste dans une description générique trop imprécise. Le rappel au règne d’Urbain II permet de dater la signature entre 1089 et 1099.
Les historiens en concluront que cette charte a été reprise au XIIe siècle. Effectivement, dans ces mêmes archives, deux actes datés de 1202 et 1204 marquent le début d’une série de pièces de plus en plus abondantes qui montrent, selon Mr Mariotte, « une identité de main et une quasi simultanéité chronologique ».
La fameuse charte de la fin du XIème serait donc la transcription abrégée voire la nouvelle rédaction dans la seconde moitié du XIIème voir même plus tard d’un acte ayant réellement concédé aux Bénédictins la totalité de Chamonix.
Pourquoi ?