Guide conférencière. Pratique ma profession depuis maintenant plus de 40 ans. Ai acquis une longue expérience et de larges connaissances en terme d'histoire de patrimoine et d'architecture. Toujours passionnée par ces thèmes et ces sujets !
En 1895, le pont de la Griaz sur le chemin de la rive gauche de l’Arve est emporté par une crue dévastatrice. Le chemin de fer, alors en projet sur cette même rive aurait certainement été emporté. Les dirigeants du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) ne veulent pas prendre le risque de voir la ligne détruite. Contrairement à l’idée reçue, le changement du tracé prévu à l’origine rive gauche de l’Arve est bien dû aux caprices de la nature et non aux habitants.
L’ouvrage conçu en pierres de granit se compose de sept arches de quinze mètres de long, le tout surplombant l’Arve de 52 mètres. Le viaduc en forme de S s’appuie sur des piles de 4.30 mètres de côté et de 6.40 mètres pour la grande arche. Il franchit la route départementale, ce qui augmente sa longueur de 130 mètres.
A l’origine, le viaduc Sainte Marie devait compter uniquement un tablier métallique central de 50 mètres de long. Mais l’armée, toujours impliquée dans toute construction importante, même ferroviaire, craint qu’en cas d’invasion celui-ci puisse être sabordé aisément. Le ministre de la guerre impose l’usage exclusif de la pierre. Le ministre des travaux publics choisit lui-même la forme des moellons !
Source : Archives départementales – Association des Amis du Vieux Chhamonix
En septembre 1836 : le propriétaire du très fameux hôtel de l’Union à Chamonix voit débarquer de drôles de personnages…
« Un soir, un jeune homme mal vêtu, couvert de boue, à la blouse étriquée et à la chevelure désordonnée, accompagné de deux enfants et d’une servante, demande à l’aubergiste s’il avait, parmi ses pensionnaires, un personnage, avec un large chapeau, une cravate roulée en corde et fredonnant en permanence une rengaine le « Dies Irae ! », ainsi qu’une belle jeune femme. Bien sûr, lui répond l’aubergiste. Ils viennent d’arriver ! Ils sont au numéro 13. Tout ce petit monde se retrouve dans une grande gaîté, ameutant les voisins irrités par le bruit. Oh ! Compte tenu de leurs vêtements farfelus, indéfinissables et par ailleurs chevelus comme des sauvages, ce ne pouvait être qu’une troupe de comédiens ! Le chef de cuisine les prend pour des saltimbanques, et en office on compte et recompte l’argenterie.
Le lendemain, un major de l’artillerie se présente et demande après ce groupe. L’hôtelier est persuadé que celui ci vient les arrêter. Ils sont si bruyants !
Mais pas du tout, il se précipite vers la chambre numéro 13 et c’est de nouveau un tapage incroyable, des cris de joie, des hurlements ! Oh scandale ! La bonne clientèle britannique n’apprécie guère cette troupe bruyante ! Ainsi, deux jeunes douairières ce soir là barricadèrent leur porte craignant, on ne sait, une invasion de leurs chambres !
Mais qui sont donc ces personnages excentriques ?
Notre jeune homme à la blouse étriquée et à la chevelure en bataille n’est autre que Georges Sand venue retrouver ici à Chamonix Franz Liszt et sa belle et douce amante, la fameuse comtesse d’Agoult : Georges Sand venue avec ses 2 enfants, mais habillée en homme, tenait à revoir ce que la bonne société parisienne décrivait avec emphase : Chamonix. Le dernier venu, le militaire, n’est autre que le major Pictet arrivé de Genève pour se joindre à cette équipe pas banale !
Le lendemain aux aurores Franz Liszt s’époumone à réveiller tout ce petit monde afin de se rendre à la fameuse Mer de glace. La caravane ne passe pas inaperçue, tout particulièrement Georges Sand osant porter un pantalon et une chemise d’homme et fumant cigare sur cigare. Franz Liszt, habillé style renaissance, avec un béret du genre « Raphaël » à l’image du peintre italien et Pictet en uniforme militaire ; on imagine l’équipée !
Au Montenvers, Georges Sand montre assez peu d’enthousiasme, contrairement à ses compagnons s’émerveillant « des magnificences de la mer de glace », « .. des éclatantes aiguilles, des glaciers et de l’immense chaos de la mer de glace où les nuages jouent avec les aiguilles dominant la vallée glaciaire ». Elle résistait à l’entrain de sa troupe, elle cueille une petite clochette bleue et déclare
« J’aime mieux cette campanule que toute votre Mer de glace » mais, attentive aux pierres, elle achète un cristal de roche. Mais il est vrai que la présence d’autres touristes l’importune. Lors de son voyage précédent, en 1834, son compagnon Pietro Pagello note la longue caravane d‘anglais de français d’allemands et d’américains qui l’agaçait déjà ! Probablement ne supporte-t-elle pas cette proximité avec ces touristes étrangers !
Elle se rend également au glacier des Bossons, et note une scène peu connue de la vie rurale chamoniarde : dans la soirée, elle remarque qu’un roulement de tambour annonce aux habitants qu’ils doivent allumer des feux dans les champs afin de les protéger de la gelée qui s’annonce.
Elle admire cependant les «… monts neigeux, étincelants aux premiers rayons du soleil »
Le soir de leur excursion, un plantureux repas les attend à la table d’hôte de l’hôtel. La bande joyeuse est mêlée à la clientèle anglaise que George Sand apprécie assez peu, elle la considère comme snob et prétentieuse !
Le lendemain, il pleuvait de nouveau. Pour passer le temps, on se mit à philosopher, puis le ciel s’éclaircissant, la petite équipe se mit en route repartant en direction de Martigny. L’aubergiste de l’hôtel de l’Union poussa un grand soulagement, se réjouissant de voir partir cette bande d’hôtes dont il se méfiait tant. La légende dit qu’il envoya aussitôt chercher Monsieur le curé pour exorciser, en les aspergeant d’eau bénite, les chambres qu’ils avaient occupées.
Georges Sand ne reviendra pas à Chamonix
Source : Annuaire du club alpin français: article de Julien Bregeault – Les quatre montagnes de Georges Sand de Colette Coisnier.
Une femme à qui nous devons beaucoup. Qui ? Madeleine Namur Vallot qui, à Chamonix, s’est battue pour UN droit : celui de porter une tenue masculine : le pantalon !
Et oui, Madeleine Vallot fut la première à oser porter la « culotte ». Que dire des remarques, des sarcasmes lancés sur cette jeune femme qui osait ainsi défier le monde masculin et les esprits bien pensant? Mais elle n’en avait cure ! Emmenée par son père au sommet du Mont Blanc, elle réalisa à quel point une jupe traînant dans la neige était vraiment un réel handicap. Embarrassée par cette masse de tissus, elle osa la remonter au dessus de ses mollets afin de mieux franchir névés et crevasses. Et de retour , très vite, elle imagina une tenue adaptée à l’alpinisme. Elle gravit sept fois le Mont Blanc dont 6 en pantalon et deux fois elle resta plus de 10 jours à l’observatoire créé par son père Henri Vallot.
Son expérience lui permit d’imaginer une tenue vestimentaire adaptée à l’alpinisme et au ski. « Nous devons emprunter à nos camarades masculins, la culotte si pratique » disait-elle Et lorsque, vers 1905, elle entend parler de ces planches que l’on adaptait au pied, immédiatement elle adaptera sa tenue afin de pouvoir se déplacer correctement sur la neige. Mais quel scandale ! Pour mieux affronter le regard des autres, elle s’alliera avec sa meilleure amie, Marie Marvingt, autre personnalité « moderne » de son temps, pour se montrer en toute impunité ! Quelques femmes dans ces années avant la première guerre oseront les copier mais que de remarques désobligeantes peut on lire dans la presse de l’époque !
Soutenue par son père et son mari et grâce à ses qualités sportives Madeleine imposera son genre et son style.
Mais il faudra attendre l’après guerre pour que les tenues imaginées par Madeleine Namur –Vallot soient peu à peu adoptées par toutes les femmes modernes qui osaient s’aventurer dans ces activités montagnardes qu’étaient l’alpinisme et le ski !
Merci Madeleine Namur Vallot !
Sources : Archives association des Amis du Vieux Chamonix . Revue Femina.
De part et d’autre de l’entrée de l’église saint Michel de Chamonix se trouvent deux vitraux magnifiques pas vraiment classiques dans l’iconographie religieuse traditionnelle.
Signés de Louis Balmet, maître verrier à Grenoble, ces deux vitraux tranchent avec l’ensemble du décor de l’église apparenté à un style néo classique.
Les avez-vous regardés avec attention ?
L’un représente saint Bernard de Menthon terrassant, de son bâton de montagne, un diable à queue de serpent .Celui ci s’apprête à détacher un énorme rocher et à le précipiter sur des alpinistes en train d’escalader. Ils sont en toute confiance, avec sacs et piolets, sur, le chemin les conduisant vers le sommet . Saint Bernard les protège. L’autre représente saint Christophe, portant le Christ sur son épaule, il veille, du haut de montagnes ennuagées par une tourmente, sur des skieurs et sur un bobsleigh empruntant un virage.
Quelle originalité ! Avons-nous déjà vu des vitraux traitant de ce thème ? Et d’où nous vient donc ce sujet si peu classique ?
En 1925 (une année après les J.O. de Chamonix), le chanoine Rhuin, curé de Chamonix, soutenu par le maire Jean Lavaivre, décide de changer les vitraux en place. Ce prêtre est, par ailleurs, celui qui sera à l’origine de l’organisation de la fête des guides le 15 août, afin de mettre les alpinistes chamoniards sous la protection de la Vierge. Il est vrai qu’il était un grand admirateur de ces guides de montagne dont il appréciait le caractère « bourru » et qui avait, avec le temps, réussi à les amadouer.
Il fait appel au pape Pie XI, ancien évêque de Milan, le fameux Achille Ratti qui avait une passion pour la montagne et qui avait fait en son temps l’ascension du Mont Blanc.
Le chanoine Rhuin obtint ainsi une prière spéciale et surtout la nomination de saint Bernard de Menthon comme protecteur des guides et des alpinistes et de saint Christophe qui bien que traditionnellement était évoqué comme protecteur des voyageurs, aura à Chamonix la charge de protéger les utilisateurs des moyens de transport locaux : skieurs et conducteurs de bobsleigh!
Ce sera une réussite ! Ces deux vitraux originaux se remarquent, non seulement par leur thèmes particuliers, mais surtout par cette gamme de couleurs chaudes qui s’en dégage, ces formes joliment ondulées, cette belle évocation du monde de la montagne et cette symbolique si chère aux chamoniards.
A rattacher plutôt à une expression art nouveau qu’à celle de l’époque qui était celle de l’art Déco.
Bravo Mr Balmet.
Bibliographie : Revue club alpin français — archives diocésaines
Il y a 95 ans se déroulait la semaine internationale des sports d’hiver de Chamonix à l’occasion des VIIIe olympiades organisées à Paris.
La plus belle et la plus grande patinoire d’Europe va être construite à Chamonix .
Une patinoire de plus de 36 000 m2 fut imaginée pouvant contenir deux surfaces de hockey , deux surfaces libres pour les figures , un anneau de vitesse de 400 mètres et une piste de curling . Projet très ambitieux pour Chamonix.l
le magnifique plan de cette patinoire appartient à l’association des Amis du Vieux Chamonix.
Pour la commune de l’époque réaliser une telle patinoire ne fut pas une sinécure ! On choisit la rive gauche de l’Arve , lieu dit des « mouilles » . Drainer, creuser, renforcer les berges de l’Arve ne fut pas simple et comment soutenir le terrain ? On travailla de jour et de nuit à la pioche. A l’aide de petits wagonnets on achemina du bois du Bouchet tout proche les remblais nécessaires. La municipalité de Chamonix , conduite par un maire actif Jean Lavaivre, contracte un emprunt de 300 000 francs auprès des particuliers propriétaires des palaces et des grands hôtels de la commune, ainsi qu’un emprunt supplémentaire de 500 000 francs auprès des banques.
Il y un mois de retard…Tant le terrain était difficile. Livraison fin décembre. OUF .
Un hiver rigoureux s’annonçait et on fit appel à Benoît Couttet et Jean Claret pour gérer la fabrication de la glace. Trente hommes en permanence étaient à disposition, On arrosait de nuit à la lance, le froid faisait le reste. La patinoire fut dotée d’une glace parfaitement lisse et dure.
Fin décembre d’énormes chutes de neige tombèrent sur Chamonix ! On recruta plus de 600 hommes pour déblayer les 1.70m de neige tombés en une nuit ,sans matériel particulier, seulement la force de l’homme ! On besogna toutes les fêtes de fin d’année et une bonne partie du mois de janvier. Nombre de bénévoles chamoniards participèrent à ce travail gigantesque. Puis à quelques jours de l’ouverture…le foehn…immense dégel. C’est la catastrophe…Benoît Couttet et ses hommes réalisèrent un travail incroyable pour conserver la glace, la maintenir, et éviter que tout disparaisse « à l’Arve » ! Puis le « miracle »… le gel de retour. Jours et nuits ils trimèrent inlassablement afin de lisser, nettoyer et faire de cette patinoire la plus belle et la plus imposante jamais vue encore dans cette Europe des années folles.
Le 24 janvier 1924, il gèle à pierre fendre sur Chamonix.
Un soleil radieux illumine la vallée, lorsque Gaston Vidal, Sous-Secrétaire d’Etat, prononce solennellement les paroles sacramentelles : « Je proclame l’ouverture des Jeux d’Hiver de Chamonix données à l’occasion de la VIIIe Olympiade »
Ce sera le vrai début des sports d’hiver dans la vallée de Chamonix.
Sources : Archives association Amis du Vieux Chamonix – Musés Jeux Olympiques Lausanne – Revue « sports d’hiver » années 1924.
Depuis 50 ans déjà cette association travaille à entretenir et valoriser la mémoire de la Vallée de Chamonix. Mais connaissons-nous vraiment cette association?
A l’automne 1968 Mesdames Mireille Simond et Pighetti de Rivasso constatent que nombre de chamoniards « jettent en Arve » leurs anciens documents encombrant leurs greniers…Elles se mobilisent aussitôt afin que ces vieux papiers soient conservés et mis à l’abri. Dans la foulée, elles créent une association qu’elles nomment « les Amis du vieux Chamonix ».
Les statuts sont enregistrés en mars 1969, avec pour objet « de faire connaître et apprécier le passé de la Haute Vallée de l’Arve, son histoire, ses traditions, son folklore, de découvrir et de conserver les vestiges et les témoins matériels de ce passé ».
Ainsi sont précieusement sauvegardés écrits, objets, documents, photographies, œuvres d’art, etc… Est aussi fondée une bibliothèque-conservatoire de tous les ouvrages ayant trait à l’histoire de la vallée de Chamonix, de la Savoie, du royaume Piémont-Sardaigne, des Alpes, et de la littérature alpine en général.
Chamonix est au cœur d’une histoire particulièrement riche. Chacun prend alors conscience de l’importance du but de cette association et en une année elle compte plus de 180 membres, preuve que cette excellente initiative convainc nombre de chamoniards ! Nombreux sont alors les donateurs qui ouvrent leurs réserves et apportent vieux documents, livres, objets, etc… En une année l’association compte déjà 240 ouvrages !
Dès juillet 1969, la commune confie à l’association la mission de remettre sur pied un musée digne de Chamonix qui, avait disparu depuis 1937.
L’association va gérer le musée alpin jusqu’en août 2001.
Elle ouvre également un autre musée dans le Vieil hôtel de 1840 au Montenvers, restaure, avec l’aide de la Compagnie des guides, le Temple de la Nature , sauve le tunnel-aqueduc gallo-romain du Châtelard près de Servoz, menacé de disparaître dans les travaux de la Route blanche.
Récemment, elle a dressé une liste de plus de 135 bâtiments dignes d’intérêt patrimonial sur le territoire de la commune qu’elle a transmis à la mairie dans le cadre de la révision du PLU.
D’année en année, l’association voit ses archives et sa bibliothèque se développer et nombre d’historiens, ou simplement des amoureux de la vallée figurent parmi les visiteurs qui découvrent, avec étonnement, des documents et livres uniques et instructifs !
D’ailleurs, une centaine de livres rares ont été identifiés par la Bibliothèque Nationale de France qui les a numérisé et que l’on peut découvrir sur le site de la BNF. L’association a été reconnue d’utilité Publique. (A consulter ci dessous en cliquant sur le titre).
D’autre part elle a intégré l’Union des Sociétés Savantes de Savoie. Ces deux appartenances témoignent du haut niveau de connaissances attribué à cette association et de la valeur réputée de son patrimoine.
pochade réalisée au sommet du Mont Blanc en 1873
Elle acquiert en 1982 (et grâce à un prêt à taux zéro d’un membre bienfaiteur) 45 toiles de Gabriel Loppé (dont les très grandes exposées au Majestic), permettant à cette collection de rester dans la vallée. Un trésor inestimable qui fait d’elle la détentrice de la plus importante des œuvres de cet artiste amoureux de Chamonix.
Par ailleurs, grâce à ses archives et à un travail méticuleux et assidu, elle peut désormais mettre à disposition des habitants de la vallée le plus important et le mieux documenté fond de généalogie.
Depuis quatre ans, les membres du comité travaillent régulièrement pour classer d’une manière informatisée les documents papiers et les photos qu’elle possède en espérant un jour pouvoir numériser l’ensemble de cette rare collection. Car elle est riche de près de 20 000 ouvrages (livres, publications diverses, revues, journaux, etc…) et de quelques milliers de photographies en tous genre, de films, de cartes postales.
Elle propose gratuitement des conférences intitulées « A la rencontre de l’histoire » afin que tout chamoniard ou visiteur puisse se familiariser avec l’histoire de notre région.
Elle a rédigé et publié de nombreux ouvrages tels « les Anglais à Chamonix », « le glacier des Bossons et la Mer de Glace », «Edgar Bouillette », « 1860 la Vallée de Chamonix et l’Annexion » et tant d’autres…
Forte aujourd’hui de près de 500 membres, l’association continue avec constance à enrichir et préserver ses collections pour les générations futures. Elle incite toujours les habitants à partager leurs documents familiaux afin que dans cinquante, cent ou deux cent ans les jeunes chamoniards puissent encore accéder à leur histoire
L’exposition pour les 50 ans de l’association vous permettra d’en découvrir toutes les richesses et peut être vous joindrez vous aux adhérents afin que la mémoire de cette vallée soit préservée et accessible aux générations futures.
Chamonix prend petit à petit conscience de la valeur de son patrimoine bâti et entreprend la réhabilitation d’immeubles anciens.
Lorsque l’hôtel Bellevue est construit, probablement dans les années 1900, et non 1890 comme on l’a bien souvent pensé, c’est une Marie Aline Couttet qui en est à l’origine. Marie Aline est la sœur des deux frères Auguste et Adolphe Couttet, les fameux photographes chamoniards. Elle a hérité de son père de ce beau terrain en bordure de la route nationale et descendant vers l’Arve Avec son époux Henri Médard Weissen, originaire du Valais et concierge pour un bel hôtel chamoniard, elle décide de construire un hôtel. A Chamonix , en ce début de siècle, les visiteurs sont de plus en plus nombreux. Henri connaît toutes les ficelles de l’hôtellerie. Confiants, tous deux se lancent dans ce nouveau projet .
Un des frères d’Aline, Auguste ou Adolphe immortalisera cette construction, en faisant de ce cliché une photo rare, montrant les détails du chantier. Aucun autre bâtiment en construction ne sera photographié ainsi dans Chamonix.
Cet hôtel possède une vue magnifique justifiant son nom : Bellevue. Il est des plus moderne, possède dès sa construction un ascenseur et le chauffage central dans toutes les chambres. Très vite, il est réputé pour sa bonne table et l’hiver sa proximité avec la patinoire et les pistes des pistes de luge puis de ski du Savoy le rend particulièrement attractif ; il connaît un vif succès. L’hôtel sera durant quelques années la propriété d’un valaisan Auguste Morand, hôtelier réputé de Martigny . Aurait il aidé Henri au financement du Bellevue ? Pas impossible ! Après 1917 Les Weissen Coutet reprennent le flambeau.
Et après l’achat de la vielle poste dans les années 1930, afin d’en faire une annexe indispensable pour héberger son personnel et celui des clients, la famille transformera peu à peu l’hôtel et aménagera un des plus beaux jardins de la ville. Particulièrement apprécié, c’est peu dire !
Ils auront trois enfants, mais tous les chamoniards se souviennent du dernier, Théau, qui gérera l’hôtel jusqu’en 1972. Passionné de beaux arts, il aime courir les salles de ventes pour ouvrir plus tard un magasin d’antiquités.
La vente des jardins et la construction de l’Hôtel Alpina devant ses fenêtres signeront la fin de l’hôtel devenu désuet. Tous les chamoniards regretteront longtemps le magnifique jardin en bord d’Arve.
Le Bellevue perd ainsi définitivement… sa belle vue.
Elle appartient à l’Eglise Réformée de France mais certains chamoniards continuent à l’appeler la chapelle anglaise !
Nul n’ignore l’importance de la communauté britannique à Chamonix. Elle remonte au XVIIIe lorsque les premiers visiteurs dans la vallée de Chamonix se révèlent être des anglais.
Par la suite et au cours du siècle suivant, ils marqueront à jamais l’histoire de la vallée. Touristes, scientifiques, alpinistes anglais créeront des liens toujours forts avec les chamoniards.
En ce milieu du XIXe, il manquait aux britanniques, de rite anglican, un lieu pour exercer leur culte. Ce sont les hôteliers chamoniards qui ouvraient chaque dimanche leurs salles à manger afin d’assurer le service anglican pour leurs clients. Bien vite, ces salles sont devenues trop petites. C’est alors que « la Société de l’église coloniale et continentale de Londres » demande à la préfecture l’autorisation de construire une chapelle. L’accord est donné, mais on les prie de construire au-delà du centre du village. La société acquiert ainsi de la famille de Mr Desailloud, propriétaire du café de la Fidélité à Chamonix, un terrain pour y bâtir un temple.
La chapelle est construite dès 1859, et inaugurée en 1860. Loin du centre, elle trône, magnifique, au milieu des prés. D’un côté l’on voyait la chute du glacier des Bossons de l’autre celle de la Mer de glace. Pendant ces années de Belle Epoque, des chapelains assuraient les services religieux. Ils consignaient sur un registre tenu à cet effet le nombre des fidèles, les difficultés climatiques, les dépenses effectuées, les personnages importants de passage, le nombre de services. Ceux-ci ne venaient cependant que durant l’été. L’hiver aucun service n’était assuré.
A l’origine le chœur devait, comme toute église anglicane, être orné de vitraux. Seul un a été réalisé, le coût trop élevé et l’arrivée de la guerre ont définitivement arrêté le projet.
Mais lorsqu’il fallait enterrer les quelques anglais décédant dans la vallée, ceux-ci devaient être inhumés dans le cimetière catholique. Et le curé de l’époque manifestait sa désapprobation en ne leur laissant des places qu’hors de l’enclos autorisé.
Ce sont les hôteliers chamoniards ainsi que Venance Payot, maire de Chamonix à l’époque, qui insisteront auprès de la préfecture pour que la petite chapelle anglicane puisse abriter son propre cimetière. En 1871, la communauté anglaise obtient l’autorisation d’y inhumer ses morts. Avec le temps, une vingtaine de britanniques seront enterrés à proximité immédiate de la chapelle.
La première guerre mondiale apporte un changement notoire. Les anglais ne sont plus aussi nombreux à venir à Chamonix. Et peu à peu la chapelle sera utilisée par l’Eglise Réformée de France, bien que les murs soient encore la propriété de « la Société de l’Eglise Coloniale et Continentale de Londres ». Le cimetière accueille alors les inhumations des familles protestantes de Chamonix.
Lors de la loi imposant de mettre les cimetières à l’extérieur des centres villes, la municipalité recevra une lettre de la société demandant expressément que l’on conserve ce petit cimetière à son emplacement afin de conserver la mémoire de ces britanniques qui avaient participé à l’enrichissement de Chamonix ! La commune obtempéra, d’autant que le cimetière était privé.
L’histoire cependant continuera avec les Misses anglaises. Bien qu’anglicanes, elles entretiendront durant la période de l’entre deux guerres l’entretien du temple soutenant le pasteur Chaptal qui assuraient les services religieux à la grande satisfaction des protestants de la commune. Et lors de la sombre période de l’occupation de la seconde guerre mondiale, les fameuses Misses participeront d’une manière très active à l’engagement de la résistance. Elles étaient très aimées des chamoniards.
La chapelle anglaise, devenue temple protestant, est cédée en 1970 puis vendue pour un franc symbolique le 29 juillet 1981 à l’Eglise Réformée de France. Cependant, les anglais, de nouveau nombreux à Chamonix, reconnaissent le temple comme leur chapelle en raison de son histoire plus que centenaire et de l’esprit commun protestant les liants à l’église réformée et bien souvent on peut assister à un mariage anglican assuré par le pasteur de la paroisse du Mont Blanc.
Sources : archives départementales – Eglise réformée de France –
Me connaissez-vous? Vous êtes-vous arrêtés près de moi? M’avez-vous bien regardée? Je suis pourtant là, tout près de la Maison de la Montagne.
Je vois défiler du monde, beaucoup de monde…
Mais combien s’arrêtent devant moi? Savez-vous qui je suis et pourquoi je suis là?
J’ai été réalisée par Gilles Vitaloni, sculpteur diplômé des Beaux Arts de Carrare, sorti de l’école d’art Pietra Santa. Ce n’est pas rien! Il adore travailler le marbre, cette matière si exigeante, si délicate à sculpter.
En 1992, il participe à un tour de France de la sculpture dans le cadre des J.O. d’Albertville et réalise des œuvres d’art en public, Chamonix sera une de ses étapes. Peut être certains se souviennent-ils de Gilles travaillant devant le foyer de ski de fond de l’époque! Parce qu’il est à Chamonix, c’est sur un bloc de granit, que Gilles travaille à son œuvre. Certes, la pierre ne provient pas de la vallée mais du Tarn où sont encore exploitées dans les années 1990 des carrières de ce matériau si dur à façonner. Gilles travaille en public, il aime échanger avec les promeneurs. Il veut que chacun participe à son œuvre. Il s’inspire des remarques faites par les flâneurs. Il me donne mon nom: Escalade. Oui, car ici dans cette vallée l’alpinisme se confronte à ce granit, si robuste, si compact et si puissant. Regardez-moi. Admirez les 4 faces de mon bloc !
Je suis à l’image de l’esprit rude du montagnard. Je suis là, ancrée dans ce paysage, près de cette maison qui voit défiler tant de guides connus ou pas, et dont l’activité, l’escalade, est le cœur de leur vie. A mon pied le nom de Chamonix est gravé car je devais partir représenter la station ailleurs! Le choix de mon sculpteur était «ESCALADE» Finalement je suis restée ici. Gilles a eu la modestie de ne pas graver son nom. Dommage ! , ne mériterait-il pas d’avoir son nom gravé à mon pied?
Du temps ou la vallée avait une activité essentiellement agro pastorale les villages étaient délimités et regroupés afin de conserver au maximum les terrains de culture. Ceux-ci étaient précieux. Aussi afin d’éviter que les vaches ou les chèvres divaguent et saccagent les champs on dressait des clôtures autour des terrains. Dans la vallée ces barrières étaient diverses et variées. Les plus originales étaient les « gires » ces pierres hautes et pesantes dressées le long des chemins ce qui permettait de canaliser les troupeaux. Mais on trouvait également des petites colonnes de bois de granit entre lesquels étaient suspendues des perches de bois, ou encore entre lesquelles on disposait des palines dont on pouvait facilement changer les segments endommagés.
Que sont elles donc devenues ?
Peu subsistent. A part Vallorcine et Servoz ou l’on maintient l’ouverture vers l’extérieur comme au temps de nos anciens la plupart de ces clôtures ont disparues.
Dommage.
Les haies de thuyas « le béton vert » de la vallée, ont définitivement clos les espaces privés et nos traditionnelles clôtures disparaissent peu à peu de nos paysages.
Au fronton du très beau bâtiment Art Déco du centre ville trône une inscription « Frères Payot ».
Mais qui sont donc ces Payot ?
Pierre Payot nait en 1791. Il réside au hameau de la Mollard. Il participe à l’équipe réussissant l’ascension du Mont Blanc avec Marie Paradis en 1808. Ce Pierre sera plus tard le guide d’Alexandre Dumas. Il achète au centre du bourg vers 1825-1830 une maison située sur la place Balmat actuelle. Il y installe un commerce de quincaillerie, de ventes d’objets sculptés, car il est tourneur sur bois, mais aussi quelques cristaux et diverses pierres… Un commerce lucratif…
François Joseph Payot copyright François Payot
Famille de François Payot 1870 Copyright François Payot
Son second fils, François, le seconde rapidement dès 1841. Le magasin connaît un vrai succès … Une sorte de drugstore avant l’heure où l’on pouvait trouver une grande variété d’objets. Devenu maître de poste, il encaisse les réservations des diligences s’arrêtant près de sa boutique. Profitant du nombre toujours plus nombreux de touristes, il commence à changer des devises suisses, françaises, anglaises ou sardes… Et avec ce fond de trésorerie, il finit par prêter à Charlet ou à Couttet, ou à Simond, qui font confiance à ce chamoniard de souche qui veut bien attendre les prochaines récoltes pour être remboursé.
François meurt en 1876, il a 55 ans. Il est père de 5 enfants. Deux meurent en bas âge. Trois marqueront de manière durable la vie chamoniarde : Paul, Jules et Michel. Les trois frères font des études brillantes au Collège Impérial de Bonneville.
Paul, déjà enfant, écrivait « …si tout l’univers était une bague, Chamonix en serait le diamant ». C’est dire l’amour qu’il portait déjà à sa vallée. Jeune homme, il séjourne en Angleterre, il est secrétaire d’un lord britannique et se familiarise avec la comptabilité. A la mort de son père François, il prend le relais, il liquide la quincaillerie et concentre ses activités sur les opérations de banque, de crédit, d’assurances et même d’organisation de voyages ! La banque Payot est créée entre 1875 et 1878. L’établissement prospère si bien qu’en 1927 il entreprend la construction au centre de Chamonix d’un bâtiment pur Art Déco pour abriter sa banque, témoin de la prospérité de Chamonix. (voir article sur banque Payot). Passionné de sa vallée, il devient maire à l’âge de 31 ans, il sera l’un des plus jeunes maires de France. Il reste 12 ans à la tête de la commune de 1888 à 1902.
Maire durant la Belle Epoque, il accompagnera avec enthousiasme les projets du PLM, l’arrivée de l’électricité, l’implantation de l’Observatoire Vallot, le projet du Montenvers… Paul Payot était très aimé et très respecté des chamoniards. Son rôle de banquier ou de maire ne l’ont jamais éloigné des nécessités de ses compatriotes. Il meurt en 1939.
Jules, le second fils, fait des études de philosophie. Très intéressé par les questions de morale et d’éducation, il écrira de nombreux ouvrages qui seront appréciés dans le milieu enseignant du début du XXe siècle. Il fait une magnifique carrière dans l’Education Nationale.En 1907 il est nommé recteur de l’Académie de Chambéry et d’Aix en Provence, il connaît une réelle reconnaissance des intellectuels de l’époque. Anticlérical, laïc notoire deux de ses livres seront mis à l’index par le Vatican. Il laisse quelques beaux ouvrages dont l’un appelé « les Alpes éducatrices » qui montre son attachement à sa vallée. Il fera quelques tentatives en politique mais s’abstiendra très vite… Ce n’était pas sa « tasse de thé » ! . La légende familiale raconte qu’il aurait rencontré à Chamonix un certain Vladimir Oulianov… Le fameux Lénine
Michel, le troisième sera médecin. Il fait ses études à Paris et passe sa thèse sur un sujet de chirurgie. Il revient à Chamonix, s’installe et rapidement se fait particulièrement apprécier par les chamoniards dont il prend soin avec beaucoup d’attention. Curieux, sportif, il découvre avec ses amis, lors d’une exposition Internationale à Paris, des skis exposés par la Norvège. Ce moyen de déplacement le séduit immédiatement.
Très vite, avec ses amis guides, ils entreprennent d’améliorer les skis et réalisent ainsi équipés quelques belles premières dont la première traversée Chamonix Zermatt en 1903 avec le fameux Ravanel le Rouge. On le voir partout, à toutes les manifestations de ski, de bob, de patinage, attentif à la bonne organisation des compétitions de ces nouvelles activités chamoniardes. Il crée le premier Club des Sports de Chamonix.
Il assiste, passionné, au premier concours de ski international à Montegenèvre en 1907 et dans la foulée organise le second concours à Chamonix en janvier 1908. Il crée un comité, le préside et se donne entièrement à l’organisation de ces jeux qu’il veut somptueux. Parce qu’il n’abandonne pas ses malades, lors d’un déplacement au village du Tour pour un accouchement, il prend ses skis et par moins 30° il va au Tour. Cette expédition lui sera fatale. Très malade, il se relève cependant pour accueillir l’équipe norvégienne de ski. La pneumonie s’installe et Michel Payot meurt quelques jours plus tard à l’âge de 39 ans . Chamonix est atterré, attristé et ce seront plus de 2 500 personnes qui seront présentes à son enterrement.
En 1912 une statue est élevée en son honneur, elle disparaît malheureusement durant la seconde guerre mondiale. Le maire Jean Lavaivre accorde une concession perpétuelle au cimetière. Et on le retrouve sur la fresque de la rue Paccard.
Michel Payot laisse un souvenir ému dans la vallée.
Les trois frères auront laissé chacun leur marque à tout jamais dans l’histoire de la Vallée de Chamonix
UN GRAND MERCI à FRANCOIS PAYOT descendant de de Paul Payot banquier qui m’a largement aidé pour constituer ce dossier sur sa famille.
Bien caché, accessible uniquement à pied, ce petit hameau de la Poya est plein de charme. Ses habitants ont trouvé là un lieu de tranquillité où ils ont délibérément choisi de vivre isolés. La Poya abrite une dizaine de maisons, plutôt petites et regroupées les unes contre les autres. Ici la voiture ne peut accéder que pour des raisons impérieuses mais elle doit repartir immédiatement. Elle n’a pas de raison de stationner dans ce milieu préservé.
Mais qu’était-il donc avant que la vie moderne s’en empare ?
Ces maisons trapues n’étaient pas des maisons d’habitation, mais de petites écuries de printemps. L’usage de ces écuries a varié avec le temps. L’hiver, entièrement recouvert par la neige, le hameau était inoccupé. C’était un « mayen » (terme venant du Valais) désignant des écuries construites un peu plus haut dans les pentes et utilisées au mois de mai après les longs mois d’hiver. Ici, pendant quelques jours, à la remue, puis, ensuite, à la descente d’alpage, les bêtes pouvaient trouver l’herbe nécessaire à leur nourriture.
A la Poya, ce sont des chèvres qui occupaient essentiellement les pâtures, qui d’ailleurs s’étendaient jusque dans le vallon de Bérard ! Regroupées en troupeau collectif, la gestion en devint communautaire. Ces écuries étaient équipées parfois d’une chambre où pouvait dormir un membre de la famille. La commune de Vallorcine impose alors la présence d’un chevrier engagé pour la saison, mais ce pouvait être aussi un petit vallorcin qui se voyait là confier une charge bien lourde! On embauche ainsi de jeunes enfants parfois de moins de 10 ans ! Ces chevriers devaient être nourris par les propriétaires de chèvres. Et celui qui avait la charge du chevrier devait alors l’aider à sortir les chèvres. D’ailleurs, après la période de la scolarité obligatoire en 1881, ce sont des jeunes valaisans qui seront embauchés, les enfants vallorcins ayant l’école obligatoire jusqu’au 14 juillet ! Au début, matin et soir, chaque famille venait traire ses bêtes et ramenait le lait à la maison où était fabriqué le fromage.
En 1893, pour aider les paysans, est créée une société laitière et l’on construisit en haut du village une laiterie « tournaire » ouverte à tous. Il a fallu alors s’organiser. Chacun allait traire ses chèvres et portait à la laiterie son lait qui était mesuré dans un bidon de 10 litres. Bidon muni d’un voyant transparent sur le côté gradué par hectolitre. Le nombre de litres de lait de chacun était inscrit sur un livre de comptes. Par ailleurs, chaque propriétaire, en fonction du nombre de chèvres qu’il possédait, était inscrit à un tour de rôle. En fonction de ce tour de rôle chaque sociétaire fabriquait chacun à son tour les fromages de la traite générale du jour. Et les fromages étaient répartis au prorata des litres de lait que donnait chaque traite.
Aujourd’hui, ce hameau bien préservé, fait l’objet de soins attentifs de la part de ses habitants locaux ou secondaires , dont deux y vivent à l’année .
Passant, souviens toi de ces vallorcins et de ces jeunes chevriers qui menaient là une vie bien rude !
Sources : Vallorcine de Françoise et Charles Gardelle, Revue du musée vallorcin Evlya numéro 7, Vallorcine autrefois de Nathalie Devillaz, article du Dauphiné Libéré de Nathalie Devillaz
L’église saint Loup est la plus ancienne église de la Vallée de Chamonix
En 1091, lors de la donation de la vallée de Chamonix à l’abbaye bénédictine de Saint Michel de la Cluse, le village de Servoz dépendait des sires du Faucigny pour la partie située au nord du confluent de l’Arve et de la Diosaz. En ce XIe siècle, une paroisse dénommée « paroisse du lac » existait déjà et, semble t’il, dépendant du prieuré de Peillonnex situé en Faucigny pas loin de Bonneville.
L’église était située à peu près au niveau de l’actuelle chapelle Notre Dame du lac et donc sur la rive gauche de l’Arve. Avec cette donation, elle se trouvait sur le territoire du prieur de Chamonix ! Mais la paroisse, elle, s’étendait sur l’ensemble des hameaux aussi bien rive droite que rive gauche. Pas simple ! Donc une église sur le territoire du prieur mais une paroisse sur le territoire des Faucigny…! Cette limite de territoire ambiguë entraîne, dès les débuts de l’histoire de notre vallée, des conflits, ou des accords signés en fonction des besoins et des pouvoirs de certains que ce soit du côté du prieuré de Chamonix, de la famille de Faucigny, de la noblesse locale ou encore de la paroisse qui a dépendu pendant longtemps du prieuré de Peillonex. Peu de documents existent sur cette première église.
En 1337, il est décidé de reconstruire une nouvelle église sur la rive droite de l’Arve, est ce pour échapper au prieur de Chamonix ? Peut être bien ! Cette église n’était sans doute pas très riche à la lecture de l’inventaire et du procès verbal réalisés par Mgr Jean de Bertrand venu le 15 août 1413. « Eglise pauvre, mauvais toiture, bons paroissiens » !
Mais c’était sans compter sur les éboulements du massif des Fiz qui jalonnent l’histoire de la plaine de Servoz. L’effondrement de 1471 modifie les cours de l’Arve et de la Diosaz et l’église, du coup, se retrouve à nouveau sur la rive gauche de l’Arve, si bien que le prieur de Chamonix estime que la paroisse doit tomber sous sa juridiction. Il proteste à chaque venue de l’évêque pour en obtenir la gouvernance. C’est vers 1484 que l’appellation passera de notre Dame du Lac à Eglise Saint Loup, en effet la légende raconte que l’archevêque de Tarentaise fit don à la paroisse des reliques de ce saint.
Les « chirves » résistent au prieur de Chamonix ! Pour échapper définitivement « aux atteintes de l’inondation et de la juridiction du prieur » les paroissiens décidèrent en 1537 de construire l’église du Bouchet à son emplacement actuel.
L’église, telle que nous la connaissons’ sera construite de 1694 à 1697 et consacrée en 1702. Il est évident que les bâtisseurs de l’époque utilisent des éléments qui appartenaient à l’église antérieure puisque la date 1537 est inscrite en haut de la porte latérale.
Cette église a conservé son très bel aspect d’origine, la façade élégante est typique des églises baroques du XVIIIe.Le porche abrite la porte d’entrée dont les vantaux, bien qu’endommagés durant la période révolutionnaire, sont un magnifique travail d’ébénisterie. Là on retrouve saint Loup, vocable de la paroisse, en tenue d’évêque, écrasant un petit dragon.
Le décor intérieur démantelé aux cours de la frénésie révolutionnaire retrouvera un nouveau décor en 1838 pour le maître autel et en 1842 pour les deux autels latéraux.
le clocher édifié en 1746 mais détruit lors de cette même période de la révolution sera refait en 1854.
Les divers travaux réalisés dans les années 1930 puis 1950 ne seront que des petits travaux qui hélas n’empêcheront pas la détérioration progressive des murs « mangés » par le salpêtre .
Enfin en 2015 la fondation du patrimoine offre une somme conséquente pour entamer des travaux de rénovation. L’église de Servoz va enfin retrouver son éclat des temps anciens.
Sources : Histoire des communs savoyardes, monographie de Servoz de l’abbé Michel Orsat, Le Mont un hameau de Servoz ( association histoire et traditions)
L’hôtel le Savoy était occupé depuis 1963 par le CIT puis en 1970 par le Club Méditerranée. Cette année il va vers un nouveau destin. Mais connaissez vous son histoire ?
Photo collection Gay Couttet
Elle s’appelle Sarah, est la quatrième de la fratrie de 5 enfants de la famille François Couttet dit « Baguette ». Elle a 16 ans à la mort de son père, 18 à la mort de sa mère. Élevée dans la pure tradition hôtelière depuis sa petite enfance, elle seconde sa sœur aînée Aline pour gérer l’hôtel familial du Grand Hôtel Couttet, jusqu’à la majorité de ses frères Jules et Joseph.
En 1899 à l’âge de 26 ans elle se marie avec Adolphe Tairraz le frère du grand photographe Georges Tairraz. Dans la succession elle hérite d’un beau terrain au pied du Brévent. Et c’est là qu’en 1901 elle lance avec l’aide d’un emprunt auprès d’une banque suisse la construction d’un hôtel de luxe. Elle l’appelle le Savoy Hôtel, nom choisi en raison du célèbre « Savoy Hôtel » de Londres connu par toute la clientèle internationale. C’est le cabinet d’architecture genevois De Morsier et Weibel qui construit cet élégant hôtel à l’image des palaces européens. Celui-ci connait immédiatement un vif succès. C’est le premier hôtel à posséder l’eau courante dans toutes les chambres dont les suites possèdent des salles de bain. Un ascenseur est installé
en 1903 et un orchestre joue tous les soirs dans la grande et magnifique salle à manger de l’hôtel.
Adolphe meurt en 1906 la laissant seule avec 2 enfants Armand et Germaine. Elle a 33 ans. Seule, elle gère avec brio l’hôtel. En pleine Belle Epoque le Savoy Hôtel connait un réel succès. On y voit la reine d’Italie, son altesse impériale et royale Otto de Habsbourg, la belle actrice Rose Caron ou le milliardaire américain Pierpont Morgan et même le légendaire Buffalo Bill en 1907 ! Elle s’engage alors dans le projet d’un agrandissement. Sous la conduite d’un autre cabinet d’architecture genevois c’est Joseph Guglielmetti entrepreneur ambitieux qui le réalise. Ce sera la magnifique aile couronnée d’un toit pyramidal et sur lequel elle fait sculpter une croix de Savoie de chaque côté du balcon supérieur. Dans la même année elle inaugure cette aile particulière et épouse l’entrepreneur le 7 juillet 1911 avec qui elle aura 4 enfants.
Publicité été avec les tennis années 1935 Collection Bernadette Tsuda
L’hôtel prend le nom de Savoy Palace.
Il connait alors ses heures de gloire jusqu’à l’entrée en guerre de la première guerre mondiale. Les années d’après guerre appelées les « années folles » voient arriver au palace une clientèle excentrique, riche.Les journaux locaux se font l’écho de ces fêtes somptueuses se déroulant au Savoy palace : « orchestres, danse, bals masqués, fêtes mondaines et galas, compétitions de tennis » sont les publicités de l’époque. Avec l’arrivée de la seconde guerre mondiale son fils Armand Tairraz prend la relève et gère le palace un temps avec son demi frère Charles Guglielmetti.
En 1945-1946 l’architecte Henri Jacques le Même aménage la terrasse supérieure. L’hôtel reprend en 1947 son nom d’origine « Savoy Hotel » perdant sa qualité de palace, Armand ayant beaucoup de peine à maintenir à flot cet ancien hôtel de luxe. Les travaux de modernisation sont trop coûteux et de plus il ne s’entend guère avec son demi frère et les frais liés à l’indivision sont particulièrement élevés pour Armand.
Le glorieux établissement sera finalement acheté en 1960 par le baron Elie de Rotschild, très vite il se rend compte qu’il perd chaque année 50 millions de francs. Confié à un fond de pension l’hôtel est loué au CET ( (club européen du Tourisme) en 1963 . Ce CET Absorbé par le Club Méditerranée le Savoy deviendra en 1970 un de ses fleurons.
Depuis de nombreux travaux ont été réalisés. Mais quasiment tout du décor original disparaît dans des travaux de modernisation. Fort dommage car on aurait pu, à l’image du Majestic, garder et rénover au moins l’ensemble des salons et salle à manger ! Même l’escalier principal a disparu !
Le Savoy Hôtel n’est plus occupé par le Club Méditerranée. Propriété d’un fond de pensions il est à ce jour loué à un nouveau groupe hôtelier appelé Folie Douce.
L’ensemble du rez de chaussée a été entièrement détruit pour ne faire qu’un seul et unique espace . Plus rien n’existe du palace d’antan , ici les murs sont bruts de décoffrage! Le décor est surprenant ! parfois intrigant. En tout cas très décalé. Certains peuvent aimer !
La façade principale est , de nuit, éclairée par une lumière passant du bleu au rose…à l’image des maisons closes des années 1900 !
L’entrée ouvre sur un bar monumental, de là un escalier conduit dans une fosse où musique , danseurs , clients se mêlent dans une rumeur houleuse et bruyante. Trois restaurants aux thème différents se trouvent sur le même niveau. 250 chambres aux tarifs variés du très cher au bon marché, 220 personnes y travaillent….
Le temps passe, que restera t’il de cet ancien palace fleuron de l’architecture chamoniarde .
Les deux Croix de Savoie ornant le balcon supérieur de l’aile construite en 1911 et la très belle ferronnerie typique Art Nouveau
A Pâques 1956, à Chamonix, de très bonne heure le matin, une équipe de trois personnages part en direction de la Vallée Blanche. Paul Démarchi, guide renommé de la vallée, avait été contacté par le « beau Muck » afin de conduire à Courmayeur un de ses proches, Mr Frédéric Ebel, en passant par le col du Géant.
Paul ne se pose pas vraiment de question sur cette demande un peu curieuse en cette saison de la part de ce client. Tous trois empruntent le chemin traditionnel passant par le petit refuge du Chapeau où ils font étape. Paul emprunte une paire de gants au gardien Luc Couttet. Ensuite ils remontent la Vallée Blanche. Le temps n’est pas vraiment au beau, mais Paul, guide chevronné, ne semble pas inquiet et annonce son retour dans la soirée. Le Chapeau est le dernier endroit où on les voit en vie !
PAUL DEMARCHI
Le beau MUCK
Ce jour là on relève des températures de -30° ! La tempête s’est levée sur la Vallée Blanche. Luc Couttet, inquiet, espère qu’ils se sont réfugiés au refuge du Requin. Mais Rien. 55h après leur départ, sans nouvelles , on s’alarme dans la vallée. Paul, , guide d’une très grande expérience, est habitué aux coups durs… Son silence est inquiétant. Le guide chef Camille Tournier lance les secours.Trois guides, dont le frère de Paul, obtiennent l’autorisation d’emprunter le téléphérique de l’Aiguille du Midi qui n’est pas encore en activité. C’est la tourmente. Ils enfoncent dans la neige profonde, le cheminement est difficile, il n’y a aucune visibilité… Mais soudain ils distinguent une tâche noire, en s’approchant ils voient une paire de skis fichés dans la neige. Eux, les guides, en connaissent bien le sens …C’est le signe d’une catastrophe ! On devine une forme humaine sous la neige. Le frère de Paul reconnaît son frère. Il est couché sur le dos, la tête tournée sur le côté. Cette force de la nature qu’était Paul est mort ! Le lendemain, quatorze sauveteurs partent à la recherche des deux autres compagnons de l’équipée. Plus bas, au dessous du passage de la Vierge, on découvre Muck, le corps plié en deux, et plus loin encore dans une crevasse, enseveli sous la neige, la troisième victime, Frédéric Ebel. Mais que s’est il donc passé ? Paul, le plus robuste d’entre eux, décédé à cent mètres du tunnel de l’Aiguille du Midi ! cela semble incompréhensible à l’ensemble de la communauté chamoniarde. La même interrogation se pose à propos du « beau Muck », lui-même grand sportif, habitué aux rigueurs de Chamonix. Comment se sont ils laissés prendre par la tempête ? A cette même période la gendarmerie s’apprêtait à interpeller Mr Ebel, recherché par Interpol pour trafic d’or. Ebel a-t-il cherché à passer la frontière le plus rapidement possible pour échapper à la police ? Il fait appel au meilleur des guides de l’époque Paul Démarchi. Avec la tempête, Paul a-t-il voulu rebrousser chemin ? Mais pour Ebel il n’en n’était pas question et un guide comme Paul n’abandonne pas son client. Ils ont donc continué en direction du col du Géant , mais le froid, la tempête persistant, son client s’affaiblit. Probablement Paul a-t-il décidé de dévier son chemin pour aller au plus prés des secours, c’est à dire vers le téléphérique de l’Aiguille du Midi. Frédéric Ebel mourant de froid, Muck également, Paul a dû partir pour aller chercher des secours. Il arrive à cent mètres de son but mais il succombe à son tour. . A Chamonix, on est abasourdis. D’autant que ses gants étaient dans son sac, tous trois étaient habillés légers, leurs vêtements chauds dans leur sac… Un mystère ! Alors certains s’imaginent que peut être, comme Ebel avait rencontré avant son départ d’autres trafiquants, les trois compagnons auraient été empoisonnés. On pratique donc une autopsie. C’est la stupeur à Chamonix, mais aucune trace d’empoisonnement n’est décelée. L’’affaire est close, laissant les chamoniards perplexes face à la mort de ces deux personnalités qui avaient marqués la vie locale.
PAUL DEMARCHI : un homme généreux On l’avait surnommé le « Saint Bernard desneiges » en raison des nombreux secours qu’il avait réalisés dans le massif. Une quarantaine, dont certains dans des conditions extrêmes. En février 1938, il avait participé au secours du fameux alpiniste genevois Raymond Lambert perdu aux Aiguilles du Diable avec son équipe. Des heures durant, les sauveteurs luttent contre le blizzard avant de découvrir les trois malheureux grelottant au fond d’une grotte. La redescente sera un enfer et Paul perdra plusieurs de ses orteils. Plus tard, il s’engagera dans les combats contre l’ennemi et après guerre il partira régulièrement à la recherche des alpinistes en détresse. Il était un homme d’une résistance hors du commun. Lors de la construction du refuge du Couvercle, il transporte seul, du Montenvers au chantier, une plaque de fonte de 120kgs ! Et c’est encore à lui que l’on fait appel, aidé des ses frères Gérard et Roger et de trois compagnons italiens, pour descendre le câble d’une tonne et mesurant plus d’un km dans la face nord de l’Aiguille du midi jusqu’au au Plan de l’Aiguille, une performance défiant tout entendement ! Paul Démarchi laisse dans la vallée l’image d’un guide tout a fait exceptionnel et sa mort sera un des souvenirs les plus douloureux pour les chamoniards !
Sources : Revue Détective 1957, Revue la montagne année 1956, Journal le Temps 1956, INA Pierre Bellmare, Revue Relief.
Aux Rebats se trouve une des maisons typiquement chamoniarde de la fin du XIXe. Édifiée à une période où l’on redoute les incendies destructeurs, son propriétaire l’a édifiée selon un style purement local. Construite en pierres et ciment recouverts de crépi, elle est toute simple.
A sa construction, en 1898, elle fut construite pour devenir la « Pension Sylvain », ce qui justifie évidemment quelques chambres ouvertes sur un balcon pour profiter de la vue sur le Mont Blanc. Mais qui est donc ce Sylvain ?
Ce Sylvain fait partie de ces personnages emblématiques oubliés de l’histoire locale. Sylvain Couttet, guide, a laissé dans la mémoire alpine quelques souvenirs remarquables. Particulièrement dynamique, il tient avec sa femme le pavillon de Pierre Pointue situé sur le chemin vers le Mont Blanc. C’est là qu’il va se faire remarquer, car volontiers disponible, il accompagne bien souvent de nombreux touristes vers la cabane des Grands Mulets et vers le sommet du Mont Blanc.
En 1866, en raison du nombre croissant de visiteurs, la compagnie des guides décide d’édifier un nouveau refuge aux Grands Mulets. Sa construction est confiée à Sylvain Couttet, à charge pour lui de transporter les matériaux, ce qui sera fait avec l’aide des guides chamoniards.
Cette même année il interrompt ses travaux pour participer aux secours lancés par le guide François Couttet et Gabriel Loppé partis à la recherche d’un des frères Young décédé au cours de la descente du Mont Blanc.
Toujours en 1866, plus tard dans la saison, parti avec le capitaine Arkwright, il échappe à l’avalanche meurtrière qui ensevelit le capitaine et deux de ses guides. Désespéré, il assure durant plus de 15 jours les recherches afin de retrouver ses compagnons d’infortune mais jamais il ne retrouva le corps du jeune anglais !
Plus tard encore, en 1870, lors de cet été mémorable où le temps n’a jamais été clément, on retrouve notre gardien toujours prompt à partir au secours des accidentés, malheureusement cet été là sera un été funeste puisque onze individus décédèrent en raison du très mauvais temps.Il montre toujours une grande compassion envers les familles.
Sylvain va tenir ce refuge de 1866 à 1881. A la lecture des journaux de l’époque, les alpinistes parlent de lui comme… « le meilleur guide de Chamonix, qui passe sa vie sur les glaciers et qui a conduit de nombreux voyageurs au sommet de la cime ; il est de bon conseil, bon à l’action, a l’expérience de la montagne, a du sang froid, est courageux et est une force de la nature… »…
Le 31 janvier 1876, à 42 ans, il participe à la première ascension du Mont Blanc en hiver avec le couple Charlet-Stratton . Et c’est à lui que l’on doit le récit de cette ascension publiée dans les journaux de l’époque.
En 1881, il abandonne la gestion du refuge des Grands Mulets. Il tien l’hôtel Beau Site et en 1898 la maison du personnel devient une pension appelée Pension Sylvain. Il n’en profite que très peu puisqu’il décède en 1900.
Sa femme Marie Denise Charlet, avec qui il avait escaladé le Mont Rose en guise de voyage de noces, tient l’auberge jusqu’en 1907, année de son décès.
Bibliographie : Le Mont Blanc de Charles Durier, Les fastes du Mont Blanc de Stephen d’Arve, le « XIXe » journal quotidien l’Abeille, « le petit journal »