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Auteur/autrice : Christine BOYMOND LASSERRE

Guide conférencière. Pratique ma profession depuis maintenant plus de 40 ans. Ai acquis une longue expérience et de larges connaissances en terme d'histoire de patrimoine et d'architecture. Toujours passionnée par ces thèmes et ces sujets !

2013 : le Carlton fête ses cent ans

En 1913 s’ouvre un hôtel de luxe le Carlton.
Paul Simond issu d’une des plus grandes familles hôtelières de Chamonix se lance.

Non seulement propriétaire de l’ancien hôtel de la Poste, mais également du nouvel hôtel Astoria construit en 1907, il comprend que l’ouverture de la nouvelle rue devenue avenue de la gare deviendra un centre « stratégique » majeur pour le développement hôtelier.


Nous sommes au cœur de la Belle Epoque, la clientèle provient du monde entier. Elle découvre les joies de l’hiver depuis quelques années.
Mr Simond, décide alors d’ouvrir un hôtel de tout confort, avec ascenseur, eau froide et chaude, chauffage central dans toutes les chambres, certaines de luxe avec salle de bains.


Il est de son temps. Fini les palaces à l’ancienne, il veut un hôtel moderne adoptant ce style joyeux à la mode dans toute l’Europe : l’art nouveau.
Le Carlton sera ainsi construit dans un genre tout à fait original à Chamonix.

Grandes baies en plein cintre au rez de chaussée afin de faire rentrer la lumière dans les salons et le restaurant. Façade arrondie, du jamais vu à Chamonix ! Et le granit omni présent, magnifiquement travaillé et qui sera un des derniers témoignages chamoniards de l’usage de ce matériau si dur à façonner.
Le conflit avec les propriétaires du Chamonix Palace en construction en face l’empêchera de bâtir l’ensemble prévu, et oui ces derniers ne voulaient pas perdre la vue sur le massif !

Le Carlton restera pour nous tous un des témoignages le plus attrayant de la période de la Belle Epoque et de son expression architecturale qu’est l’Art Nouveau.

Elle est classée monument historique mais le savons nous ?

Nous allons à la poste, à la banque, à la boulangerie… nous passons devant elle des milliers de fois. Y jetons-nous un regard ? La remarquons-nous ? L’avons-nous observée dans le détail ?
Et pourtant elle est classée monument historique !

_mg_0199Nous allons à la poste, à la banque, à la boulangerie…  nous pa

De quoi parlons-nous ? D’une maison, d’un bâtiment ? Non, tout simplement de la magnifique fontaine située au cœur de la place Balmat.
L e 8 juin 1860, la municipalité, pas encore française, adopte le projet d’une fontaine publique « à fixer au milieu de la place publique du chef lieu ».
Le 9 septembre 1861 la commune fait appel à «… Mr Pizelli tailleur de pierre, natif de Cambiosco en Piémont , pour l’exécution de fourniture et travaux à la construction d’un bassin en granit à établir sur la place publique . Mr Pizelli est invité à venir passer pour l’accomplissement de ses engagements et à faire exécuter à ses frais et risques tous les travaux et fournitures pour la construction d’un bassin en granit … ». Les diverses délibérations municipales des années suivantes nous apportent peu de détails complémentaires, sinon une volonté exprimée par l’administration préfectorale recommandant aux conseils municipaux la création de fontaines en eau potable afin de favoriser la distribution d’eau nécessaire à la population. D’ailleurs, une seconde fontaine sera créée dans le haut du bourg, alimentée par la source des Nants.
L’observation de la fontaine Balmat nous laisse admiratif.


Elle se compose d’un bassin taillé dans une pièce unique, un seul morceau de granit de 3.50m x2.40m, c’est à peine croyable lorsque l’on connaît la difficulté du travail de cette pierre.
Comment les graniteurs ont-ils œuvré ? D’où vient ce bloc magnifique ? Peut-être de la carrière d’Orthaz ? Ou d’une carrière plus haut située au pied de la mer de glace ? Comment l’ont-ils déplacé ? L’ont-ils creusé une fois installé sur la place ? Etaient-ils plusieurs tailleurs?
Nul ne connait les raisons qui ont conduit les autorités à décider du classement en monument historique en 1941. Mais ce qui est certain, c’est que cette fontaine, surprenante par sa taille, reste un témoignage majeur du travail oublié des graniteurs qui ont œuvré dans la vallée de Chamonix.
Originaires du Piémont, voire même des vallées plus lointaines au nord du lac de Garde, ils venaient faire une saison, travaillant dans des conditions difficiles puis repartaient dans leur famille. Ils reviendront de plus en plus nombreux lorsque Chamonix connaîtra le boum économique de la Belle Epoque. Ce sont eux qui participeront aux travaux de constructions des hôtels, des voies ferrées, puis plus tard des remontées mécaniques. Leur présence est attestée pour la construction de nombreux immeubles chamoniards. Beaucoup ont fait souche, souvent les familles aux consonances italiennes de la vallée sont héritières de ces ouvriers, sculpteurs discrets mais courageux, qui ont œuvré pour l’embellissement de notre vallée.

Un couple mytique de la Belle Epoque à Chamonix , le couple Agutte -Sembat

Un couple fusionnel exceptionnel

Un couple mythique de la Belle Epoque à Chamonix : Georgette Agutte et Marcel Sembat !
« Je ne puis vivre sans lui. Minuit. 12 heures qu’il est mort. Je suis en retard » : ainsi écrit Georgette Agutte juste avant son suicide après le décès de son mari Marcel Sembat.
Qui, à cette époque, n’a pas été touché par cette disparition sublimée ?
Mais qui étaient-ils donc ?

Photo fondation Agutte

Marcel Sembat, socialiste, député dans le XVIIIème arrondissement et ministre des transports entre 1914 et 1916 était un homme politique engagé et renommé. Il restera député jusqu’à sa mort. Il sera par ailleurs un grand amateur d’art. Son discours du 3 décembre 1912 en faveur de l’art moderne restera célèbre !


Il épousera en 1897 Georgette Agutte, femme libre, divorcée d’un critique d’art, montrant une grande indépendance d’esprit. Elle était une grande passionnée d’art dont elle fréquentait les milieux depuis sa jeunesse. Tous deux étaient des amateurs éclairés, ouverts aux tendances nouvelles. Ils auront pour amis Henri Matisse, Paul Signac, Albert Marquet, André Derain. Mécènes, ils achèteront ainsi nombre d’œuvres à ces peintres amis dont ils appréciaient le talent. (Dans les dernières volontés de Georgette Agutte la collection devait regagner un musée de province. C’est Grenoble qui sera choisi).
Georgette Agutte Sembat elle-même exposera au salon des Indépendants en 1904, elle participera à la création du salon d’automne et de 1908 à 1916, elle exposera régulièrement dans les salons de l’époque… Elle peint des paysages, des portraits, des nus .Très marquées par les impressionnistes et, les fauves, ses œuvres sont riches d’une palette originale et colorée.
Tous deux aimaient Chamonix où ils s’étaient fait construire une maison. Georgette Agutte faisait partie de ces femmes amatrices d’alpinisme en ces débuts du XXème. Plusieurs fois par an, ils se plaisaient à venir passer quelques jours face au Mont Blanc.


C’est en montagne que le 4 septembre 1922, Marcel Sembat décède d’une hémorragie cérébrale. 12 heures après Georgette Agutte le suivra dans la mort en se suicidant.
Que reste-t-il à Chamonix de ceux deux personnages à l’amour fusionnel ?


Une maison encore marquée par leur présence et huit tableaux de Georgette Agutte dans les collections du Musée Alpin (qui fait du musée alpin la seconde collection Agutte après le musée de Grenoble)
. On y découvre des œuvres maitresses consacrées à la montagne, inspirées du fauvisme. Rochers, glaciers, arbres y expriment une nature forte que l’artiste a manifestement connue intimement. Les couleurs sont chaudes, puissantes, il se dégage des œuvres une énergie profonde… Georgette Agutte aimait notre vallée.

Copyright Musée Alpin

un couple fusionnel exceptionnel

Le plus ancien hôtel d’Argentière toujours en activité ?

Construit vers 1863 – 1865 celui-ci n’a jamais changé d’activité depuis son origine. Édifié sous le régime de du nouvel Empire sous le nom d’Hôtel de la Couronne, il gardera ce nom jusqu’à nos jours.


D’après la famille Mortier ancien propriétaire, l’hôtel prit le nom de « Couronne » à l’instigation de la famille Devouassoux d’Argentière en succession de l’Hôtel de la Couronne de Chamonix détruit par l’incendie dévastateur de Chamonix en 1855. Cet hôtel (résidence Terminus actuellement), construit en 1832, était d’excellente réputation. Et reprendre le nom devait porter chance aux nouveaux aubergistes.

A Argentière, à cette même période, existait déjà une auberge, le Bellevue, datant de 1816, qui servait de relai pour les mulets. Ce village où les visiteurs commençaient à être de plus en plus nombreux manquait d’hébergement confortable.

vue hôtel de la couronne
Carte postale

L’hôtel de la Couronne sera plus agréable, sur deux étages, avec une vingtaine de chambres, certaines avec une cheminée (les conduits ont été retrouvés lors des travaux de rénovation). Ce nouvel établissement sera une étape très prisée sur le chemin vers la Suisse. Il deviendra à parti des années 1870 un relai de diligences.
Les familles propriétaires se succèdent, tout d’abord les Devouassoux, puis madame Muller, fille de la maison, ensuite Mme Lamy, petite fille, chacune apportant la modernité des temps présents.
En 1932, la maison s’agrandit d’un étage, ce qui lui donne son aspect actuel. On installe le chauffage central, grand luxe pour l’époque. Ce fut un bon choix, puisque l’hôtel sera grouillant de monde en 1937 lors des championnats du monde, sur la piste de la FIS, marquée par la victoire d’Emile Allais.

Carte postale


Monsieur Mortier prend le relai en 1958. Il affectionne cet hôtel, qu’il entretient avec persévérance et sens pratique. D’année en année il le modernise, installe des salles de bain dans chaque chambre et aménagera même une patinoire dans le jardin pour mettre à profit les froids sibériens des années 1960. Marcel Wibault assurera la pérennité de cette innovation par un superbe tableau qui rappelle aux anciens Argentérauds ces moments exceptionnels où tout Argentière se retrouvait au bord de la patinoire.
Mr Mortier, passe le relais à sa fille. Mais à 92 ans, toujours présent sur les lieux et toujours passionné, il prenait un réel plaisir à vous raconter avec moult détails ses souvenirs liés à Argentière. Une mémoire vive et intacte qui hélas s’éteint. L’hôtel connait de nos jours un nouveau propriétaire voulant lui donner son renouveau et ses éclats du siècle passé !

Il est probable que Mr Mortier serait très heureux .

Sources : famille Mortier

Viollet le Duc à Chamonix. Qui s’en souvient ?

Eugène Eugène Viollet Le Duc découvre Chamonix en 1868. Connu pour ses travaux de rénovation de bâtiments historiques, on a parfois oublié sa passion pour la montagne et ses études sur le massif du Mont Blanc.


Promeneur infatigable, il va durant plus de 10 ans se rendre l’été à Chamonix et arpenter chemins et sentiers, explorant chaque petit coin du massif du Mont Blanc. Accompagné de ses guides, il travaille du lever du jour au coucher du soleil, dormant parfois deux ou trois nuits consécutives en altitude. A Chamonix, il se raconte que Mr Viollet le Duc avait conçu un tabouret spécial. Celui-ci, monté sur des pieds aux hauteurs différentes, lui permettait de se positionner au mieux dans la pente lors de ses longues séances de dessin.
Ses études, ses esquisses, ses croquis, nous montrent un homme méticuleux soucieux de précision. Ses tableaux nous révèlent un peintre subtil maitrisant avec talent le travail de l’aquarelliste. Les atmosphères sont ressenties avec beaucoup de force et de justesse. Il réalisera plus de 600 tableaux et dessins

D’une étonnante modernité, il s’initie enfin à la cartographie et publiera en 1876 une carte à 1/40.000 du Mont Blanc admirable de minutie.

Quand il arrive à Chamonix pour la première fois en 1868, il loge à l’Hôtel Terminus tenu par Madame Tairraz.
Celle-ci, sachant à quel point il apprécie peu la clientèle séjournant à Chamonix, le recevra dès 1869 dans sa maison familiale située à la lisière de la forêt au pied du Brévent, au lieu dit « la Côte ». Madame Tairraz lui demandera alors de concevoir une seconde maison dite « maison à loyer » (une maison à loyer étant innovatrice pour l’époque puisqu’il s’agissait de construire une maison avec un logement pour le propriétaire et des logements aux étages supérieurs que l’on pouvait louer). Du jamais vu à cette époque
Viollet le Duc s’était depuis longtemps intéressé à l’architecture de montagne. Il estimait que celle-ci des était des mieux intégrées au paysage et à la morphologie des terrains accidentés.
Il se met vite à la tâche et dresse les plans de cette maison.
Il s’inspire des fermes locales pour élaborer son projet. Telle la ferme traditionnelle adossée à la pente, sa maison se composera d’une base en pierre surmontée de deux étages en bois. En amont, se trouvent cuisine, sanitaires et tout ce qui concerne la domesticité. En aval, les chambres s’ouvrent sur de larges fenêtres et balcons donnant sur le midi et les sommets.


Mais Viollet le Duc comprend aussi la nécessité d’avoir une maison moderne avec tout le confort… Chaque chambre disposera d’une cheminée et d’une salle de bain… Ce qui était révolutionnaire pour l’époque. Construite de 1872 à 1873, cette maison de Viollet le Duc se veut exemplaire. Il y montre ses talents d’architecte capable de construire une demeure confortable néanmoins inspirée de l’habitat traditionnel.

L’eau coulera bien longtemps sous les ponts avant qu’un autre architecte, Mr Henry Jacques le Même, de Megève, invente, 60 ans après, ce qu’il appellera « le chalet skieur » directement inspiré de l’habitation locale. Que de points communs entre eux !

La maison de la Côte deviendra, avec son annexe, « l’Hôtel des chalets de la Côte », tenu par Mr Harang. Puis les bâtiments seront partiellement transformés dans les années 1920 pour être occupés par une maison de santé pour enfants appelée « les Soldanelles ».

Chamonix oubliera vite ce personnage étonnant qu’était Mr Viollet le Duc.
Dans les années 1970, tout sera balayé par des promoteurs plus intéressés par le profit d’une grande résidence que par cette veille maison pour eux sans intérêt. Nul ne s’en est ému …
Dommage ! Sa vision de l’architecture moderne avait 60 ans d’avance !
Mais qui s’en souvient à Chamonix ?

Chamonix ? D’où vient ton nom ?

Quelle est donc l’étymologie du nom Chamonix ?

Cette question a déjà fait couler beaucoup d’encre, et chaque pheilologue apporte son interprétation. Libre à chacun de choisir son explication parmi les nombreuses propositions !

Theatrum Sabaudiae 1682

Le sujet est d’autant plus complexe que Chamonix a traversé l’histoire avec des orthographes différentes : Chamonio (1225), Chammonis(1229), Chamunix(1289), Chamony(1399), Chamouny(1581), Chamony(1652), Chamounis (1682).

Le prieuré de la vallée de Chamonix prend définitivement son nom de «Chamonix» en 1793, sous la révolution française. Avant on ne parlait que du prieuré de la vallée de Chamonix.

Le premier document historique datant de 1091 parle, à propos de Chamonix, d’un « campus munitum », terme latin qui signifie « champ clos », ou « fortifié », avec une connotation militaire. Origine romaine? certainement pas ! Médiévale bien sûr, le latin étant la langue utilisée pour tous documents officiels.

⇒ D’après Roland Boyer (« le nom des lieux de la région du Mont Blanc »), le campus munitus couvre toute la vallée de Chamonix .

Il est vrai que, encore de nos jours, cette interprétation est la plus couramment admise. Cependant l’étymologie a fait des progrès et il est intéressant de rechercher les diverses autres versions.

⇒ Selon Mr Charles Durier, la racine « chamon » signifierait « friche » en vieux français ; le mot aurait été alors latinisé en « chamoniagum » , idée d’ailleurs retenue par Mr Jean Yves Mariotte (historien) et par Mr Charles Vallot.

⇒ Mr Charles Marteaux, étymologiste reconnu, voit deux origines possibles (dictionnaire étymologique de lieux en France édition 1911) :

1 – soit une latinisation de «camon » qui désignait un genre de pré, peut être sur une hauteur.

2 – Soit une racine ligure où « Cam », « Cham », « Char », « cha » auraient été utilisés pour désigner un site de montagne, « une élévation », « une hauteur arrondie » .(on pourrait trouver la même racine dans le nom de Chamole dans le Jura, dans Chamoux ou Chamousset en Savoie).

⇒ Le philologue breton François Falc’hun nous apprend qu’en Bretagne, montagne se dit « menez » et que ce terme vient du vieux breton « monid » que l’on prononce « moniz »… Intéressant, non? Quant à « Cha » en breton il signifierait tête !

Donc nous pourrions envisager une racine celtique ou Chamonix voudrait dire « la tête de la montagne »

⇒Par ailleurs, en patois, Chamonix s’écrit « Cam(u)ni ». On peut éventuellement retenir « Cam » (qui est de racine ligure) comme élévation et « ni » (qui serait de racine latine) comme neige, Chamonix ne voudrait il pas dire « l’élévation de neige » ?

⇒ D’autres hypothèses plus fantaisistes ont été proposées : « le plan au moulin » (cha molinum) ou le « champ du meunier » (Jules Payot), voire même selon Victor Hugo le « champ des chamois »…

ll y a un autre « Chamonix », logé dans une boucle de la rive gauche de l’Arve (tout près de Cluses), dominé par de hautes falaises. Lorsque l’on regarde attentivement l’emplacement de ce hameau, il est évident qu’il y a là aussi « un commencement de la montagne » (selon Paul Guichonnet).

Hameau de Chamonix à côté de Cluses

Le nom de « Chamonix » a été donné à une propriété (rurale) de la commune de Dieulefit à la fin du XIXe siècle. Un membre de la famille Noyer (bourgeoisie aisée), devenu maire, était un adepte de l’alpinisme. C’est en raison de sa passion pour ce sport qu’il a donné le nom de Chamonix à sa propriété dieulefitoise (elle comprenait des terres et des bâtiments).

La propriété a été vendue par la famille Noyer à la fin du siècle dernier à une association qui y a construit un centre hospitalier de pointe, Dieulefit Santé. Le nom de « Chamonix » a été conservé.

Abbaye de Saint Michel de la Cluse dont dépendait Chamonix

C’est l’abbaye dont a dépendu la vallée de Chamonix pendant près de 4 siècles.

Les italiens l’appellent « la Sacra San Michele », avec toujours beaucoup de respect. Il est vrai que le lieu est magique ! Située sur un piton rocheux qui domine la vallée de la Suze, la Sacra se voit de très loin … A 960m d’altitude, elle s’impose au regard de toutes parts. Un site à visiter absolument.
Il peut paraître étrange qu’en 1091 la vallée perdue de Chamonix ait été donnée par les comtes de Genève à cette abbaye si lointaine de Saint Michel de la Cluse située près de Turin.
Nous sommes au Moyen Age, le climat se réchauffe, les Alpes se franchissent plus aisément et de ce fait les échanges s’améliorent. C’est dans ce contexte que se situe l’essor des maisons religieuses. Celles-ci s’imposent dans une période où la foi est au centre de toutes préoccupations humaines.
Un ordre religieux prend son essor, celui fondé par Saint Bernard, les bénédictins. L’ordre s’étend dans toute l’Europe. Nombreux sont les monastères et abbayes édifiés dans les Alpes. Les bénédictins circulent beaucoup, voyageant d’une abbaye à l’autre. L’itinéraire le plus fréquenté est celui qui passe par le Mont Cenis. Saint Michel de la Cluse accueille ses premiers moines dès 868 et le sanctuaire est créé dans les dernières décennies du Xème siècle. L’abbaye deviendra une étape incontournable entre le nord et le sud de l’Europe. Elle brillera très vite dans sa toute puissance de la Vénétie à l’Espagne. Elle sera un foyer de culture et sa splendeur rayonnera au plus haut tout au long du XIIème et XIIIème. Elle possédait alors plus de 200 dépendances et était l’une des quatre plus puissantes abbayes d’Italie. Elle détenait plusieurs prieurés dans notre région (Héry sur Ugine, Megève, Chamonix, Port Valais près de Sion, Bursier sur le lac Léman…. ).
L’abbaye de saint Michel de la Cluse entre en décadence dès le XIVème siècle. C’est l’époque à le prieuré de Chamonix sera attribué à la collégiale de Sallanches Elle sera pillée, la bibliothèque les archives seront dispersées et elle tombera lentement en ruines.
Restaurée au XIXème siècle, elle est redevenue un site exceptionnel à visiter.

Pour la petite histoire : en savoir un peu plus

En Europe en plus de la Sacra San Michele trois autres abbayes ont été consacrées à Saint Michel.

  1. le Mont Saint Michel situé à la frontière de la Bretagne et de la Normandie, le plus fameux.
  2. Le saint Michael’ Mount édifié sur une île granitique au sud de la Cornouailles. Sanctuaire dès 495 qui sera mis sous la protection de saint Michel en 1044 et des moines de l’abbaye de saint Michel en Normandie y construiront une petite église et un petit monastère transformé plus tard en forteresse.
  3. La plus ancienne se trouve sur la presqu’île de Gargano dans les Pouilles mais ici elle n’est pas en hauteur, elle est construite au fond d’une grotte accessible par un long escalier, similaire aux longs escaliers de l’abbaye de saint Michel de la Cluse. Etonnant ? Non ?

La mappe sarde

Qu’é sa co ?

Les XVIème et XVII ème siècles sont des périodes au cours desquelles, en Savoie, la perception de l’impôt est particulièrement confuse. Victor Amédée II, roi de Piémont Sardaigne, conscient de l’anarchie de ces levées d’impôts dont l’origine est médiévale et imprécise, impose une remise en ordre fiscale qui cherche à établir une estimation juste des biens fonciers par catégories et par biens. Dans la foulée est décidée l’élaboration d’un cadastre détaillé.
L’édit du 9 avril 1728 ordonne la mensuration générale de la Savoie.
Immense gageure pour l’époque !


L’innovation principale est l’élaboration des « mappes », (cartographie généralisée des parcelles de toutes les communes). Commencé en 1730 et achevé en 1738, ce relevé concernera 638 communes qui seront cadastrées dans le détail. Celle de Chamonix sera la plus grande de toutes.
20 équipes sillonnent tout le territoire. Chaque équipe est composée de :
1 géomètre : il dessine les parcelles, les arbres, les biens …
1 métreur : il mesure les propriétés.
1 estimateur (il estime la valeur du bien). Il est aidé d’un indicateur (seul personnage local autorisé, sa présence est nécessaire pour donner des informations sur les lieux.)
La mappe est composée de :
** Un plan cadastral dessiné à l’échelle de 1/2372. C’est à dire 1 mm=2m372. C’est un rouleau de papier entoilé portant le dessin en couleurs de toutes les parcelles (avec n° d’ordre), des chemins, des cours d’eau, des arbres, etc…
** Un registre des parcelles appelé « livre de géométrie » qui répertorie chaque parcelle, le nom du propriétaire et l’étendue du bien
** Un second registre appelé « livre d’estime » qui donne le degré de « bonté » (c’est à dire la productivité) de chaque terrain.
Le tout est envoyé à Chambéry. Des « calculateurs » sont alors chargés de fixer pour chaque parcelle la valeur foncière et le montant de l’imposition.
De ces deux registres on rédige la « tabelle préparatoire » qui est alors mise en consultation dans chaque commune afin que chacun puisse faire état de ses réclamations. Les habitants disposent d’une quinzaine de jours pour contrôler plan et registres. Réclamations inscrites dans un registre appelé « cotes à griefs »
Puis tout retourne encore une fois à Chambéry ou l’on établit la synthèse de toutes les informations rassemblées dans un ouvrage final la tabelle.

Exemple d’un page de tabelle de Chamonix

Ces tabelles sont des registres où se trouve le nom des propriétaires par ordre alphabétique, et leur condition (noble, ecclésiastique, bourgeois, laboureur…),
Le numéro de la parcelle,
La nature de cette parcelle (champ, maison, alpages, murger..),
Le nom du lieu dit,
Le degré de bonté chiffré de 0 à 3 (de bonne terres à mauvaises),
La superficie,
Les frais de culture (déduits des revenus),
Son estimation et sa taille (pour l’impôt).
Dans chaque commune est alors établi un cahier de mutation donnant les informations des changements de propriétaires, de propriétés, de valeurs, Le cadastre se heurte bientôt à la difficulté de suivre les mutations foncières malgré le travail de fourmi réalisé par les secrétaires de mairie.
Il n’est reste pas moins que la mappe donne une vue géographique très précise des parcelles et des confins. Elle resta jusqu’en 1852 le seul instrument de référence pour les limites de parcelles.

Il existait une mappe pour Chambéry, une mappe pour Turin et une mappe pour le village concerné.

Le « lac à l’Anglais ».

Pourquoi s’appelle t’il à l’anglais

Ce charmant petit lac, niché dans la forêt tout près du mur d’escalade, raconte une histoire étonnante. Celle d’un anglais si amoureux de Chamonix qu’il décide, en 1886, d’acheter ces parcelles situées à la sortie du hameau des Pècles.


A l’époque, les diligences empruntent cette route, d’où la vue est magnifique. A cet endroit, il y a deux fermes protégées par un paravalanche, et très peu d’arbres. Quelques bêtes paissent près de l’Arve. Il n’est pas difficile pour Lord Sinclair d’acquérir ces quelques prés sans grand intérêt, hormis la source qui jaillit et offre une eau limpide et surtout si fraîche. Est-ce cette belle eau qui incite notre anglais à choisir ce lieu ?

Lord Sinclair est client de François Couttet, guide et propriétaire du tout nouvel « Hôtel Couttet et du Parc ». Il vient régulièrement à Chamonix. Certainement fasciné par cette vallée enchanteresse, il cherche à créer ce qui, partout en Europe, est en vogue : un « parc à fabriques ».
En effet, depuis quelques décennies déjà, des parcs ou des jardins sont créés en de nombreux lieux afin d’inciter à la promenade, à la découverte, sans être dérangé par des éléments extérieurs.
Dans ces parcs sont construits des édifices décoratifs (appelés des « fabriques ») qui doivent dégager une atmosphère rustique, antique ou… asiatique.
Nous connaissons tous le jardin du Petit Trianon, où le promeneur traverse des rochers et des grottes aménagées artificiellement afin de lui donner le sentiment de se retrouver dans une nature sauvage ! Ou encore le parc Monceau et ses temples antiques !
Notre ami John Sinclair, particulièrement touché par la nature forte qui s’impose en ce lieu dominé par le Mont Blanc, décide alors de creuser un lac au contact de la source abondante qui nait au pied du rocher. Il plante à proximité des arbres inconnus dans la vallée. Il aménage de fausses grottes

,puis il fait construire une fausse ruine au bord de l’eau… Un petit sentier qui monte graduellement au-dessus du lac permet au promeneur de se livrer à la rêverie ou à la méditation. Nous sommes encore dans la sensibilité du romantisme finissant du XIXème siècle.

Ce petit lac est devenu la folie du moment. Tout touriste venant à Chamonix empruntait un mulet ou se rendait à pied pour aller visiter ce que chacun chantait comme le lieu « à voir ». On naviguait en barque sur le lac, on se faisait peur à franchir les pas dangereux qui permettaient d’accéder aux grottes. On poussait des portes artificielles de pierre pour passer d’une grotte à l’autre puis, tout en bavardant, on se rendait au kiosque qui dominait le lac d’où l’on avait la vue la plus merveilleuse de la vallée.

Le temps a passé. Les épicéas ont pris le dessus, créant une forêt sombre. Le promontoire fut pris d’assaut par les ronces, les grottes abandonnées furent endommagées, on créa de nouveaux aménagements.

L’intérêt se porta désormais sur le nouveau lac, plus grand, créé pour édifier les remblais de la nouvelle voie ferrée. Ce fut le nouveau lieu de rendez-vous. Seuls dans la mémoire des habitants des Gaillands resteront le nom de « lac à l’anglais » et du « kiosque à l’anglais ».

Bien plus tard, en 1939, certains chercheront la manière d’exploiter l’eau de la source si fraîche et si pure. Et dans les années 1970 de gros projets immobiliers menaceront ce lieu secret. Le terrain est alors acheté par la municipalité.

L’attraction principale est aujourd’hui le rocher d’escalade où viennent s’exercer les grimpeurs. Connaissent-ils eux même l’histoire de ces lieux ? Le calme du lac et de sa ruine est désormais animé par les cris des enfants suspendus à la tyrolienne qui le traverse. Saura t’on leur raconter l’histoire de ce lieu un peu hors du temps et riche d’une histoire originale ?

Le plus vieux parchemin de Chamonix

Les archives départementales de Haute Savoie possèdent un document des plus précieux pour Chamonix et des plus anciens pour la Haute Savoie : la charte de donation de la vallée aux moines bénédictins de saint Michel de la Cluse dans le Piémont.
Mais comment ce magnifique parchemin en bon état daté de 1091 est-il arrivé jusqu’ à nous ?


Lorsqu’en 1519 les chanoines du chapitre de la collégiale de Sallanches succèdent aux religieux de l’abbaye de saint Michel, ils descendent dans leur résidence principale à Sallanches le gros des archives de leur succursale .C’est là, dans un grenier, que le notaire Bonnefoy les découvrira en 1831 et les transférera chez lui pour les étudier. Plus de 449 liasses de l’ancienne collégiale. Celles- ci avaient échappées à la destruction des armées révolutionnaires.
Le texte de la charte n’était cependant pas inconnu puisqu’en 1660 Samuel Guichenon, érudit, le publia dans son « histoire généalogique de la royale maison de Savoie ». Mais nous devons la redécouverte de la charte à Markham Sherwill qui, en 1832, curieux de l’histoire chamoniarde, rencontre Mr Bonnefoy ce qui lui permet de remettre aux yeux du monde une part de l’histoire chamoniarde : … « à la première vue des vénérables papiers je compris la joie enthousiaste qu’éprouve un antiquaire en découvrant quelques nouveaux trésors… et la poussière qui les recouvrait paraissait aussi vieille que le Prieuré lui-même ». Il publie ainsi en 1831 à Londres la première histoire de la vallée de Chamonix.
En 1879 et 1883 Mr Bonnefoy publie les pièces les plus importantes dont la charte datée de 1091. Photographiée, elle sera alors éditée à plusieurs reprises. Vient alors en 1907 la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les documents sont rapatriés aux archives départementales.
Immédiatement, les historiens se penchent sur ce document précieux .On le soumet à l’Ecole des Chartes où l’historien Maurice Prou écrivait à son collègue annécien «je ne crois pas que l’écriture puisse être de la fin du XIème … On la daterait plutôt du milieu du XIIème, ne serait-ce pas une charte du XIème recopiée ou interpolée ou en tout cas refaite au XIIème ? Remarque intéressante qui ne sera reprise qu’en 1979 par Jean Yves Mariotte qui, directeur des archives départementales, effectua un examen serré et en proposa une traduction précise (texte ci-dessous).
Ce document « vrai-faux », selon Mr Mariotte, a tourmenté nombre de spécialistes car si on s’en réfère aux documents de l’époque, ce parchemin manque de précisions : pas de lieu, pas de date précise. Certes les témoins et les signataires sont bien attestés, mais le texte est bref et on est frappé par l’imprécision dans l’identification. A l‘époque, les dotations énuméraient généralement dans le détail les donations. Surtout on ne mentionne ni les hommes qui, en général, sont toujours cités, et l’on reste dans une description générique trop imprécise. Le rappel au règne d’Urbain II permet de dater la signature entre 1089 et 1099.
Les historiens en concluront que cette charte a été reprise au XIIème siècle. Effectivement, dans ces mêmes archives, deux actes datés de 1202 et 1204 marquent le début d’une série de pièces de plus en plus abondantes qui montrent, selon Mr Mariotte, « une identité de main et une quasi simultanéité chronologique ».
La fameuse charte de la fin du XIème serait donc la transcription abrégée voire la nouvelle rédaction dans la seconde moitié du XIIème voir même plus tard d’un acte ayant réellement concédé aux Bénédictins la totalité de Chamonix.
Pourquoi ?
Il faut savoir qu’à l’époque, lors de donation aux grandes abbayes savoyardes, les seigneurs conservaient « l’avouerie ». C’est-à-dire la protection et la défense du lieu. Il est probable que celle-ci avait été usurpée par d’autres seigneurs (probablement les Nangy). La garde du prieuré fut reprise en1204 par les comtes de Genève. Les moines exhumant un document élagué de toutes dépendances envers les comtes de Genève afin d’affirmer leur autonomie.
La charte attribuée à 1091 serait donc une version remaniée du document original du 12ème siècle, mais le document nous confirme bien que la vallée été donnée aux moines en fin du 11ème siècle.

Source : article de Mr Paul Guichonnet. Journal Le Messager septembre 1991.

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